Le fluor est depuis longtemps considéré comme un allié incontournable de la santé bucco-dentaire. Présent dans l’eau du robinet, les dentifrices, les compléments alimentaires et parfois administré sous forme de comprimés chez les enfants, il a permis, selon l’OMS, de réduire significativement les caries dentaires dans le monde.

Mais comme tout principe actif, son efficacité dépend d’un équilibre délicat. Trop peu, les dents se fragilisent. Trop, les risques de fluorose et d’effets secondaires systémiques apparaissent.

C’est dans cette zone grise que s’inscrit une étude scientifique récente menée au Bangladesh, qui questionne les effets à long terme d’une exposition précoce dès la vie intra-utérine au fluor sur le développement cognitif des enfants.

Une étude menée sur 10 ans dans les zones rurales du Bangladesh

Objectif : mesurer les effets neurologiques d’une exposition au fluor dès la grossesse

Cette étude longitudinale, publiée dans la revue Environmental Health Perspectives, a suivi 1 300 enfants depuis la huitième semaine de gestation jusqu’à l’âge de 10 ans, avec un protocole rigoureux et des mesures précises de la concentration de fluor dans les urines.

Trois étapes clés ont permis de suivre l’évolution de l’exposition :

          • Semaine 8 de grossesse : mesure du taux de fluor chez les mères.
          • Âge de 5 ans et 10 ans : mesure du taux de fluor chez les enfants + évaluation du quotient intellectuel via l’échelle d’intelligence de Wechsler.

L’objectif était clair : analyser la corrélation entre l’exposition prénatale et infantile au fluor et les performances cognitives des enfants à deux âges clés de leur développement.

Impact direct de l’exposition maternelle

Les résultats interpellent. Chez les mères dont le taux de fluor urinaire avait doublé, on observe :

        • Une baisse moyenne de 2,8 points du QI de leur enfant à l’âge de 5 ans.
        • Une chute de 4,9 points à 10 ans.

Effets accentués chez les enfants eux-mêmes exposés

L’étude révèle un autre point critique : les enfants ayant eux-mêmes été exposés au fluor (par ingestion via l’eau, comprimés ou dentifrices avalés) et dont le taux urinaire dépassait 0,72 mg/L présentaient :

        • Une réduction moyenne de 12,1 points de QI par rapport à la moyenne des enfants non exposés ou faiblement exposés.

Les domaines les plus impactés ? Le raisonnement perceptif, la compréhension verbale, et plus généralement, les capacités de langage et de traitement de l’information.

Pourquoi cette altération cognitive ? Le fluor et le développement du cerveau

Le fluor, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, traverse la barrière placentaire. Une fois dans le système fœtal, il est soupçonné d’interférer avec la maturation neuronale, notamment en perturbant :

          • La signalisation cellulaire ;
          • La sécrétion de neurotransmetteurs ;
          • Et potentiellement, la croissance des neurones dans certaines zones du cerveau en développement.

Ces mécanismes pourraient expliquer les performances altérées observées dans les domaines cognitifs, surtout verbaux et visuo-spatiaux.

Fluor et sécurité : que dit l’OMS, que montre cette étude ?

L’Organisation Mondiale de la Santé fixe à 1,5 mg/L la limite supérieure acceptable de fluor dans l’eau potable. Or, les résultats de cette étude indiquent des effets délétères dès 0,72 mg/L, soit moins de la moitié du seuil recommandé.

Autrement dit, des niveaux jugés sûrs par les standards internationaux pourraient ne pas l’être pour le développement neurologique, en particulier chez les fœtus et les jeunes enfants.

Un contexte international en évolution

Il n’est pas anodin de noter que ces conclusions émergent alors que des personnalités influentes, comme Robert F. Kennedy Jr., récemment nommé ministre de la Santé aux États-Unis, remettent en question la fluoration systématique de l’eau potable.

Bien que cette recherche ait été initiée bien avant les débats récents (elle s’appuie sur une décennie de données), elle arrive à point nommé pour nourrir les réflexions sur la balance bénéfice/risque de la supplémentation en fluor.

Faut-il bannir le fluor ? Pas si vite…

Primum non nocere : dans le doute, agissons avec précaution

Loin de diaboliser le fluor, cette étude incite surtout à repenser les modalités de son utilisation, en particulier chez les populations vulnérables :

          • Femmes enceintes ;
          • Jeunes enfants (sous 6 ans) ;
          • Populations rurales ou exposées à des eaux riches naturellement en fluor.

Plutôt que de généraliser la fluoration, il pourrait être plus pertinent de personnaliser les apports en fonction des besoins individuels, en tenant compte des sources alimentaires, de l’environnement local et des pratiques d’hygiène dentaire.

Informer, Surveiller, Adapter

Le fluor reste un outil puissant pour la prévention des caries, mais son impact neurodéveloppemental potentiel impose une vigilance accrue.

Il est essentiel de :

          • Sensibiliser les professionnels de santé, notamment les chirurgiens-dentistes et les pédiatres, à ces données récentes.
          • Éduquer les parents sur les doses adaptées de fluor et les risques d’ingestion accidentelle, notamment via les dentifrices.
          • Réévaluer les seuils de sécurité actuels, à la lumière des nouvelles données épidémiologiques.

À retenir : un dosage inadapté de fluor, surtout au cours de la grossesse et dans la petite enfance, peut entraîner une diminution mesurable des performances cognitives. Un sujet sérieux, qui mérite toute notre attention.